Le délire ubuesque du Conseil fédéral

Le Conseil fédéral clâme haut et fort qu'il a conçu le projet de loi sur les produits du tabac (LPTab) dans le but de protéger la jeunesse. Il le martèle dans son communiqué du 11 novembre 2015 dont le titre est : « Loi sur les produits du tabac : mieux protéger les jeunes des dangers du tabac ». Ce communiqué commence par la déclaration suivante : « La nouvelle loi sur les produits du tabac (LPTab) vise à protéger la population, en particulier les jeunes gens, des effets nocifs du tabagisme. ». Le Conseil fédéral nous explique qu' « étant donné que la majorité des fumeurs (57%) commencent à fumer avant l'âge de 18 ans, la protection de la jeunesse joue un rôle central dans la LPTab ». Il constate aussi que « la publicité pour le tabac exerce une grande influence sur les jeunes et peut les inciter à commencer à fumer ».

Fort de ces déclarations et constats, qui indiquent sa grande détermination à s'attaquer au problème, le Conseil fédéral annonce clairement la couleur : « Les formes de publicité facilement accessibles aux enfants et aux jeunes vont être restreintes. »

« Seulement restreintes? pensez-vous, je croyais qu'il s'agissait de les interdire! » Le vocabulaire utilisé pour expliquer la loi et ce qui la motive est soigneusement choisi par Alain Berset, notre conseiller fédéral socialiste en charge du dossier. Il a expliqué sur les antennes de radio et de télévision que son projet de loi réalise le meilleur compromis possible en deux extrémismes : entre d'une part l'extrémisme des compagnies de tabac, pour qui toute entrave réglementaire empêchant les adolescents de devenir des fumeurs et donc des clients à vie constitue une intolérable entorse aux lois du libre marché, et d'autre part, l'extrémisme des dangereux naïfs qui considèrent que la protection de la santé des Suisses passe avant les intérêts de l'économie, et en particulier avant ceux des multinationales du tabac.

Bref, il n'est pas permis de douter de la détermination de nos autorités fédérales de protéger la jeunesse des dangers du tabac, puisqu'elles ont réussi à produire un laborieux compromis « équilibré » entre ces deux extrémismes, ce qui n'a pas été une tâche aisée. Elles proposent en particulier de restreindre le parrainage d'événements par les compagnies de tabac.

Stand Marlboro au Paléo Festival de Nyon.
La nouvelle loi va permettre à ce genre de promotion du tabac
de se développer sans entrave.

On ne peut qu'approuver, en supposant, en toute logique, que cette restriction du parrainage va viser les événements particulièrement prisés par les jeunes, puisque c'est eux qu'il s'agit de protéger. Peut-être penserez-vous, comme nous, au Paléo Festival, au festival Caprices à Crans-Montana, à celui du Chant du Gros, ou encore aux festivals openair de Gurten, Frauenfeld, St Gall, Gampel et Zürich, qui tous ont une clientèle majoritairement jeune, voire très jeune, et dans lesquels les marques de cigarettes sont fortement présentes.

Eh bien vous n'y êtes pas du tout ! Ces festivals ne sont nullement visés par le Conseil fédéral dans son projet de loi : les cigarettiers pourront continuer sans entraves d'y être présents et de collaborer avec les organisateurs afin d'optimiser l'utilisation de ces événements comme autant de plateformes promotionnelles pour leurs produits auprès des jeunes. Avec en plus la bénédiction du Conseil fédéral et sous la protection de la loi !

Non, la mesure phare de prévention du tabagisme chez les jeunes prévue par la LPTab consistera à interdire le cigar lounge (salon de cigares) Davidoff à Art Basel ! Tout le monde sait que c'est là un des hauts lieux fréquentés par la jeunesse helvétique (de plus de 50 ans - en Suisse, on est toujours jeune). L'interdiction touchera aussi le bar à champagne Lucky Strike du festival de jazz de Montreux. Et c'est tout !

Cela vous semble absurde, non? En fait, il y a un semblant de logique derrière cette décision ubuesque. Le projet de loi interdit le sponsoring des événements ayant une portée internationale, et les seuls qui entrent dans cette catégorie sont Art Basel et le Jazz Festival de Montreux. Tant que la publicité pour le tabac reste à l'intérieur du pays, pas de problème puisque seule la jeunesse suisse y est exposée. Mais, attention, dès que cette publicité risque d'atteindre des jeunes au delà de nos frontières, alors là, il est important de protéger efficacement ces jeunes étrangers, et donc d'interdire le parrainage par les marques de tabac.

OxyRomandie est impressionnée par le sens de l'altruisme international dont fait preuve le Conseil fédéral. Son souci de la protection de la jeunesse des autres pays est tout à fait admirable, d'autant plus que, pour une fois, un telle mesure n'est pas concédée sous la menace de rétorsion. Peut-être qu'un jour nos autorités fédérales - ou nos parlementaires lors des débats sur la loi - réaliseront que la protection de la jeunesse helvétique mérite la même considération. Il est permis de rêver.

2015.11.23/pad