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« ...il n'est nullement interdit de fumer, nulle part dans le monde sauf au Bhoutan. Il est simplement désormais interdit d'imposer sa fumée de cigarette à des non-fumeurs, y compris des enfants, et ce dans les lieux publics. Une reprise de liberté donc pour les non-fumeurs, qui pourront enfin respirer mieux tout en laissant aux fumeurs le loisir d'en griller une dehors. » |
Le cancer du poumon, nouveau symbole de libertéPoint de vue Le cancer du poumon, nouveau symbole de liberté, par Gricha SafarianLE MONDE | 10.01.08 | 14h16 Les méfaits du tabagisme actif et passif sur la santé de l'être humain sont connus, archi-connus. La cigarette, c'est un mort toutes les dix secondes dans le monde. Le plus "serial" de tous les "killers" de l'univers. C'est aussi une industrie sans scrupules qui s'attaque aux adolescents dès le plus jeune âge par une série de moyens marketing aussi sournois qu'efficaces. Pourtant, dans les colonnes du Monde (daté du 2 janvier), un contributeur "médecin", Micheline Benatar, ose nous asséner avec une vigueur hallucinante les arguments les plus spécieux de l'industrie du tabac. Allant jusqu'à voir dans l'interdiction de fumer dans les lieux publics démarrée ce 1er janvier sur le territoire français une dérive "totalitaire" ! Le tout agrémenté d'une sauce "appel à la convivialité" qui brouille opportunément les pistes, désignant le fumeur comme une victime et le non-fumeur comme son oppresseur. Ces arguments, on pourrait les comprendre (mais pas les admettre) s'ils venaient d'un lobbyiste chevronné de l'industrie du tabac ou d'un inculte total, c'est au choix. Mais pas d'un médecin. Comment, en effet, oser comparer l'addiction à la nicotine à la consommation de foie gras ? Qui connaît un consommateur de foie gras qui a besoin de sa tranche quinze fois par jour tous les jours de sa vie adolescente et adulte ? Et existe-t-il une consommation de foie gras "passive" qui augmenterait le taux de cholestérol de votre voisin de table au restaurant pendant qu'il mange sa salade ? Mais le plus surprenant est à venir. Dès le 2 janvier, une véritable campagne de presse mondiale déferle sur le cas français. Le Washington Post, le Los Angeles Times, le Guardian et la BBC reprennent pour certains l'argumentation de totalitarisme énoncée dans Le Monde, en viennent à parler de "la perte d'identité culturelle française" à la suite de la disparition de la fumée de cigarette dans les lieux publics. Sous-entendant que Sartre et Simone de Beauvoir n'auraient pas vraiment été eux-mêmes sans la cigarette. Allez donc dire cela aux fantômes de Jacques Brel, George Harrison et Serge Gainsbourg... Le fil conducteur de cette campagne ? Une protestation véhémente contre une interdiction imaginaire de la cigarette. En effet, il n'est nullement interdit de fumer, nulle part dans le monde sauf au Bhoutan. Il est simplement désormais interdit d'imposer sa fumée de cigarette à des non-fumeurs, y compris des enfants, et ce dans les lieux publics. Une reprise de liberté donc pour les non-fumeurs, qui pourront enfin respirer mieux tout en laissant aux fumeurs le loisir d'en griller une dehors. Comment alors oser parler de la "liberté du fumeur" ? Quelle liberté ? Celle d'enfumer ses voisins dans des lieux publics ? Particulièrement quand ces derniers sont souvent des lieux de bouche où les dégustations d'un repas et d'une boisson sont malmenées automatiquement par la fumée qui s'installe. Comment oser parler de liberté tout court face à une industrie criminelle qui a 100 millions de morts sur la conscience pour le seul XXe siècle, n'a pas hésité à mentir pendant des décennies sur les méfaits de son produit unique et n'a pas non plus hésité à financer des scientifiques, dont des médecins, pour qu'ils vantent les bienfaits de la cigarette. Syndrome de Stockholm Le vrai totalitarisme, ce n'est pas d'interdire la cigarette dans les lieux publics, c'est de continuer envers et contre tout à promouvoir de manière perverse et indirecte la consommation de la cigarette chez des jeunes de 12 ans et plus, qui, sans s'en rendre compte, mettent le pied dans une addiction dont la plupart ne sortiront que morts étouffés des décennies de tabagisme plus tard. Le totalitarisme, c'est la campagne Internet visant à faire croire aux ados que la fumée de la chicha est moins nocive que celle de la cigarette, alors qu'une étude de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) nous dit qu'une heure de chicha équivaut à la consommation de 5 à 10 paquets de cigarettes... Le totalitarisme, c'est d'essayer de transformer le cancer du poumon en un symbole de la liberté. Curieux syndrome de Stockholm qui touche la plupart des fumeurs, prêts à défendre bec et ongles une industrie qui ne mérite en aucune manière la moindre considération, surtout quand on sait quelles sont ses méthodes de marketing et de communication, ses moyens financiers illimités et son manque de scrupules total vis-à-vis de la santé des jeunes. Gricha Safarian Gricha Safarian est licencié en sciences politiques et relations internationales et blogueur Article paru dans l'édition du Monde le 11 janvier 2008. (Dossier 08-001 - 2008-01-10) |