La fumée de mon voisin pénètre dans mon appartement. Que faire ?

Nous attendons toujours qu’un locataire soit assez déterminé pour aller jusqu’au bout d’une telle procédure. Beaucoup ont cédé devant le chantage exercé par leur régie de rompre le bail, et la plupart des autres cas portés à notre connaissance se sont soldés par le déménagement des locataires exposés à la fumée.

OxyRomandie reçoit régulièrement des demandes d’aide de personnes, souvent désemparées, qui subissent un fort tabagisme passif dans leur appartement, la fumée venant d’un appartement voisin. Elles sont la plupart du temps dans une situation inextricable, étant confrontées à des voisins gros fumeurs qui clament leur droit de fumer chez eux, sans se préoccuper le moins du monde que cela pollue tout l’immeuble dont ils sont locataires, et à une régie qui fait tout pour ignorer le problème, et, lorsque cela n’est plus possible, le minimise et en nie les conséquences sanitaires.

Voici un message que nous avons reçu d’une habitante de Genève :

« Je vous remercie de bien vouloir m'indiquer si l'on peut prendre des mesures contre des voisins qui fument sans cesse,  jour et nuit (tabac et autres substances) en sachant que notre régie est tout à fait indifférente à ce genre de problème. La fumée pendant notre sommeil nous incommode le plus, nous réveillant et provocant de la toux pendant la journée. »

Notre président a adressé, au nom d'OxyRomandie, la réponse suivante à cette personne :

« Je comprends très bien votre situation, qui n'est hélas pas, et de loin, un cas isolé à Genève [ndlr: et en Suisse romande].

Je me permettrais tout d'abord de vous corriger sur un point: vous dites que la fumée vous incommode. S'il ne s'agissait que de cela, vous seriez simplement confrontée à une question de bon voisinage, qui pourrait se régler par un accord à l'amiable, chaque partie faisant une concession à l'autre. Sans aucune velléité de ma part de vouloir envenimer la situation, je me sens obligé de vous informer que la fumée de tabac que vous respirez dans votre appartement n’est pas seulement incommodante : elle est en fait un agent toxique notoire, classifié par l’OMS comme un cancérogène avéré.[1],[2]

Cette exposition à la fumée constitue une menace réelle pour votre santé – l’une de ses principales conséquences étant une détérioration de votre santé cardio-vasculaire. Les enfants sont très sensibles à la présence de fumée de tabac dans les immeubles d'habitation[3], et y sont particulièrement vulnérables, depuis le plus jeune âge jusqu'à l'adolescence.[4],[5],[6] L’exposition à la fumée passive est aussi une cause avérée de la mort subite du nourrisson.[7]

Il est maintenant clairement établi que la fumée de tabac produit ses effets nocifs même à des doses très faibles.[8] Elle peut être dangereuse sans même être détectable par notre système olfactif, certains de ses composants les plus dangereux étant inodores. Les directives sur l’article 8 de la Convention-cadre de l'OMS pour la lutte antitabac (un traité international ratifié à ce jour par 178 pays) le déclarent très clairement : Aucun niveau d’exposition à la fumée secondaire n’est sans danger.[9] Si vous toussez à cause de la fumée que vous respirez pendant la nuit dans votre chambre, c'est que vous êtes exposée à des quantités très importantes de fumée. Vous avez donc tout à fait raison de vous en préoccuper et de tout faire pour que cela cesse – c’est votre santé qui est en jeu.

Des immeubles d'habitation sans fumée,
c'est possible et ça se passe très bien au Québec

Malheureusement, les régies à Genève (et partout ailleurs en Suisse romande) font bloc pour empêcher que ce problème soit reconnu. Elles se retrouvent - peut-être malgré elles – complices des compagnies de tabac, qui ont nié pendant très longtemps le caractère délétère de la fumée passive, au point d’être condamnées à plusieurs reprises par les tribunaux, notamment aux USA, et qui continuent à ce jour de le nier ou d’en minimiser les conséquences sur la santé.

Si elles reconnaissent la pollution des immeubles d'habitation provoquée par le tabagisme intempestif des locataires fumeurs, les régies craignent d’être submergées par les requêtes de milliers de locataires revendiquant à leur tour leur droit (élémentaire) à disposer d'un appartement dont l’air est sain et ne met pas en péril leur santé. C’est une boîte de Pandore gigantesque : elles font donc tout pour dissuader les locataires d’en soulever le couvercle. Cela passe par l’ignorance (feinte) du problème, sa minimisation, son déni, l’inaction délibérée et toutes les mesures dilatoires imaginables, la stigmatisation des locataires victimes qui sont accusés d’intolérance et de prohibitionnisme, et peut aller jusqu’à des menaces de non-renouvellement du bail, menaces que certaines régies n’hésitent pas à mettre à exécution.[10]

Que pouvons-nous vous conseiller de faire dans une telle situation ? Notre premier conseil, c’est de parler à votre voisin en lui expliquant le problème et en lui demandant courtoisement de s’abstenir de fumer dans son appartement. Hélas, pour diverses raisons, cette étape initiale ne produit souvent pas l'effet escompté : d’une part, la puissance de l’addiction fait que même s’il est animé des meilleurs intentions et s'engage à arrêter ou à restreindre son tabagisme dans son appartement, l'expérience montre qu'il y a peu de chance que votre voisin y arrive et qu'il risque de retomber dans ses mauvaises habitudes après quelques tentatives plus ou moins fructueuses ; il se peut aussi que votre voisin soit persuadé que c’est son droit le plus élémentaires de fumer chez lui comme bon lui semble – il percevra alors votre demande comme constituant une atteinte à sa liberté individuelle ; finalement, votre voisin peut encore penser que le problème ne vient pas de son tabagisme, mais d’un défaut d’étanchéité à l’intérieur de l’immeuble et que ce n’est donc pas de sa faute si vous êtes enfumés.

Cette première étape est importante, mais nous supposons que vous nous demandez conseil justement parce que, dans votre cas, elle n’a rien donné. Il faut alors faire établir de façon objective et incontestable le fait que vous êtes exposée à la fumée passive dans votre appartement.

Pour cela, il y a plusieurs méthodes. Vous pouvez vous mettre en contact avec le Cipret-Genève[11], qui peut vous donner des conseils sur les moyens à disposition. Vous pouvez par exemple obtenir une mesure de votre niveau de cotinine dans le sang, qui est une indication fiable de votre exposition à la fumée de tabac, la cotinine étant un métabolite de la nicotine. Le Cipret-Genève dispose aussi de capteurs de fumée qui mesurent la quantité de fumée de tabac qui pénètre chez vous. Il y aurait encore la possibilité d’utiliser un compteur de particules fines – les plus nocives – mais il faut pour cela disposer d’un tel instrument. Il y a des entreprises spécialisées qui peuvent faire de telles mesures pour vous.

Lorsque vous aurez établi de façon formelle et objective que vous êtes exposée à la fumée passive, il faudra alors écrire à la régie pour les en informer, pièces à l’appui, et leur demander de faire en sorte que cette pollution de l’air de votre appartement cesse. La régie doit vous garantir un logement dont l’air est sain et qui ne met pas en péril votre santé. Si vous ne disposez pas d’un logement remplissant ces conditions, c’est à elle d’agir pour que l’air de votre appartement redevienne sain. Ce n’est pas à vous de devoir affronter votre voisin qui fume – ce serait trop facile pour la régie de se décharger de sa responsabilité sur les locataires, en exploitant les tensions de voisinage qui en résulterait inévitablement pour échapper à ses responsabilités. Si votre voisin d’étage démolit l’ascenseur de l’immeuble, ce n’est pas à vous de le poursuivre pour qu’il répare les dégâts qu’il a causés – c’est à la régie ou au propriétaire de l’immeuble que cela incombe. Il en va de même pour la qualité de l’air dans votre appartement.

Une image qui résume parfaitement la réaction de certaines régies
face au problème de la pollution par la fumée de tabac
des immeubles d'habitation dont elles ont la gestion

Si la régie fait la sourde oreille et ne réagit pas, ou nie sa responsabilité, il faut insister en indiquant votre intention de porter l’affaire devant le tribunal des baux. Vous pouvez demander l’aide de l’Asloca – voir par exemple les recommandations qu’elle a publiées conjointement avec le Cipret-Vaud.[12] Ne vous faites cependant pas trop d’illusions – l’Asloca a tendance a prendre le parti des fumeurs, en donnant la prépondérance au « droit » de ceux-ci de s’adonner chez eux à leur addiction sur le droit des locataires voisins de respirer un air sain dans leur appartement.

A ce titre, l’article publié dans Le Matin intitulé Interdiction de fumer chez soi ![13] est révélateur : l’Asloca s’y érige contre le concept d’ « immeuble sans fumée », basé sur l'idée que les locataires s’engagent par bail à ne pas fumer – concept qui marche pourtant très bien dans d’autres pays et qui correspond à une réelle demande.[14] L’Asloca se retrouve dans une situation de connivence objective avec les agents immobiliers sur cette question. Au mieux, elle se prononcera en faveur d’une pseudo-solution telle qu’une réduction de loyer, qui naturellement ne résout pas le principal problème, à savoir la pollution de l’air de votre appartement par la fumée de tabac et ses conséquences sanitaires.[15]

Lorsqu’il se confirme que la régie ne fera rien pour résoudre le problème, il vous faudra alors prendre un avocat et lancer une procédure devant le tribunal des baux pour revendiquer votre droit à un air sain dans votre appartement. Si vous avez clairement établi que l’air de votre appartement met votre santé en danger (il suffit de trouver des niveaux détectables de fumée dans votre appartement – la science ayant largement démontré la nocivité de la fumée passive) il n'est pas irréaliste d'espérer obtenir gain de cause dans une telle procédure.[16] Vous pouvez aussi cesser de payer votre loyer en le consignant dans un compte bloqué, mais attention, tout cela doit être fait dans les règles, et c’est la raison pour laquelle vous avez besoin d’être assisté par un avocat.

Cela semble évident, mais nous attendons toujours qu’un locataire soit assez déterminé pour aller jusqu’au bout d’une telle procédure. Beaucoup ont cédé devant le chantage exercé par leur régie de rompre le bail, et la plupart des autres cas portés à notre connaissance se sont soldés par le déménagement des locataires exposés à la fumée.

Vous trouverez que ma réponse n’est pas très encourageante, mais elle correspond à la réalité, que nous ne pouvons que déplorer. Une solution envisageable serait que les locataires – et ils sont très nombreux - qui subissent le même type d’intoxication par la fumée de tabac dans leur appartement s’associent et financent conjointement la procédure judiciaire de l’un d’entre eux, qui pourrait ensuite faire jurisprudence et ouvrir la boîte de Pandore. Notre association, OxyRomandie, serait prête à soutenir un tel mouvement, mais nos ressources tant financières qu'en personnel ne nous permettent pas actuellement de le lancer ni de l’organiser. A vous donc de jouer.

Pascal Diethelm, président d’OxyRomandie »

Notes:

[1] Communiqué de presse No. 141, Centre international de recherche sur le cancer, 19 juin 2002

[2] Voir aussi nos commentaires sur cette importante décision du CIRC (agence de l'OMS) dans notre article intitulé C'est officiel : la fumée passive fait partie des substances cancérogènes les plus dangereuses!, publié sur notre ancien site le 25 août 2002

[3] Tobacco-Smoke Exposure in Children Who Live in Multiunit Housing. Wilson KM, Klein JD, Blumkin AK, et al. Pediatrics, Vol. 127 No. 1 January 1, 2011, pp. 85-92

[4] Voir par exemple Lésions vasculaires dues à la fumée passive dans l'enfance, communiqué de l'AT publié sur notre ancien site le 25 novembre 2002

[5] Voir aussi La fumée passive aggrave les infections des voies respiratoires chez le nourrisson, communiqué de l'AT publié sur notre ancien site le 21 mars 2005

[6] Voir encore Le tabagisme passif a une incidence sur le développement neurologique des bébés (article publié le 11 octobre 2012 sur le site d'OxyRomandie); cette référence et les deux précédentes ne représentent qu'un échantillon très restreint de la multitude d'études qui mettent en évidence la forte toxicité de l'exposition à la fumée passive chez les jeunes enfants et des adolescents.

[7] Sudden Infant Death Syndrome. Office on Smoking and Health (US). The Health Consequences of Involuntary Exposure to Tobacco Smoke: A Report of the Surgeon General. Atlanta (GA): Centers for Disease Control and Prevention (US); 2006. 5, Reproductive and Developmental Effects from Exposure to Secondhand Smoke.

[8] There is No Risk-Free Level of Exposure to Secondhand Smoke. Office on Smoking and Health (US). The Health Consequences of Involuntary Exposure to Tobacco Smoke: A Report of the Surgeon General. Atlanta (GA): Centers for Disease Control and Prevention (US); 2006. 5, Reproductive and Developmental Effects from Exposure to Secondhand Smoke

[9] Directives relatives à la protection contre le tabagisme passif. Convention-cadre de l'OMS pour la lutte antitabac. page 23, avant dernier paragraphe

[10] Le tableau que nous brossons peut paraître assez sombre mais il correspond à ce qui nous a été rapporté. Il y a probablement quelques exemples d’immeubles où les choses se sont bien passées et où l’on a réussi à éliminer la fumée dans la bonne entente de toutes les parties concernées. Si vous avez connaissance d’un tel cas, n’hésitez pas à nous le signaler – nous en ferons volontiers la publicité.

[11] Des organismes similaires existent dans les autres cantons : Cipret-FribourgCipret-ValaisCipret-Vaud et Vivre sans fumer à Neuchâtel.

[12] Que faire pour se protéger de la fumée s’infiltrant dans votre logement ? Communiqué Asloca – Cipret-Vaud, février 2007

[13] Interdiction de fumer chez soi! Le Matin, 23 octobre 2011

[14] Smoke free multi-unit housing – A guide for owners, tenants, agents, authorities and governments. ASH Australia, 2011

[15] Lutter contre la fumée du voisin. Le Matin Bleu, 31 janvier 2007

[16] Dans un arrêt qui fait jurisprudence (Olesia Koretski c. Sandra Ann Fowler, Cour du Québec, chambre civile, 2008 QCCQ 2534, 17 avrl 2008), la cour du Québec qui, s'est prononcé comme suit :

[89] Si le législateur a ainsi prohibé l'usage du tabac dans la sphère publique, c'est qu'il reconnaît les risques que l'exposition à la fumée du tabac fait courir aux non fumeurs.

[90] Aucune loi n'interdit formellement à une personne de fumer dans son logement. Cependant, le droit du fumeur au respect de sa vie privée est limité par le droit des autres occupants d'un immeuble à jouir paisiblement de leur logement.

[91] Cette jouissance paisible inclut le droit de ne pas subir les effets négatifs de la fumée.

Il n'est pas illusoire d'espérer que le Tribunal Fédéral suisse arrive à la même conclusion, qui découle d'une évidente logique. Ses juges ont déjà indiqué assez clairement qu'il n'existe pas un droit fondamental de fumer. Une interdiction de fumer, même dans un lieu privé, ne porte donc pas crucialement atteinte à la liberté individuelle : le droit à la santé des tiers est une considération prépondérante par rapport au droit de fumer.

Documents pertinents :

 


 

2014.05.07/pad